17 décembre 2018
Le modèle économique chinois post-digitalisation, dont WeChat est le symbole, voit s’ériger une certaine hégémonie des plateformes qui, de plus en plus, deviennent des applications totales. Ce modèle de « social e-commerce » est-il réplicable au reste du monde ? Pas si sûr.
Quand l’Occident semble, au gré des récents scandales, prendre la mesure du danger que représente un possible monopole des plateformes d’intermédiation, en Chine au contraire, le réseau social WeChat poursuit sa formidable ascension. Revendiquant depuis quelques mois un milliard d’utilisateurs actifs, la plateforme règne de façon quasi-monopolistique sur le business des réseaux sociaux du pays. Et quel pays ! Car la Chine est l’un des espaces les plus connectés de la planète avec ses 770 millions d’internautes actifs dont plus de 724 millions disent utiliser WeChat tous les jours. Quand on sait qu’en moyenne, un citoyen chinois passe près de 90 minutes par jour sur le réseau social, WeChat semble encore avoir de beaux jours devant lui. Considéré comme le Facebook asiatique, il se veut pourtant bien plus que cela et pourrait même poser les bases d’un e-commerce nouvelle génération via les réseaux sociaux.
Un écosystème intégré total
En effet, la plateformisation économique que connaît la Chine est, à bien des égards, bien différente de celle à l’œuvre en Occident. Evidemment, les cultures ne sont pas les mêmes, ni les paradigmes économiques ou les modèles de gouvernance. Cependant, elles ont en commun l’ambition affichée par les CEO des différents projets de construire de véritables écosystèmes intégrés organisant la grande majorité, pour ne pas dire la totalité, des interactions humaines, qu’elles soient sociales, politiques ou économiques.
Selon Yvonne LI, brand consultant au sein de Q1 Consulting, cabinet de conseil chinois spécialisé dans l’intelligence économique, « Aujourd’hui, WeChat est bien plus qu’une simple application mais prend davantage la forme d’un écosystème intégré fournissant des services couvrant l’intégralité des besoins que les utilisateurs peuvent avoir dans leur vie ». Résultat ? WeChat semble devenir indispensable à la vie quotidienne. Tout se passe comme si, l’application était devenue une super-plateforme d’échange revendiquant un monopole à peine dissimulé sur les interactions et échanges entre les personnes. Aussi, « le travail de WeChat, dans cette volonté de créer un écosystème, a d’abord été de diversifier ses activités. Aujourd’hui, il permet ainsi de faire du shopping, de réserver un taxi, un restaurant mais aussi de se déplacer en ville ou payer dans les magasins » confesse Yvonne Li.Cette formule « all inclusive » version plateforme présente ainsi l’avantage de la simplicité : tout est réuni en une même plateforme. Le modèle ? Un système central autour duquel gravitent une multitude d’applications interconnectées.
Les mini-programmes, le fer de lance de la révolution du e-commerce
Aujourd’hui, ce qui attire l’attention de tous les retailers chinois ce sont les mini-programmes. Et pour cause, près de 600.000 applications gravitent déjà sur la super-plateforme, totalisant plus de 170 millions d’utilisateurs journaliers. Entièrement intégrées au réseau social, elles interagissent avec lui et offrent plus de viralité au contenu ainsi qu’une grande facilité d’utilisation. Dans la logique unifiée de plateforme totale, WeChat intègre aussi des services financiers comme WeChat Wallet qui représente près de 69% des revenus globaux de la plateforme. Les fonctionnalités sont multiples : du paiement instantané au paiement offline par QR Code en passant par un service de crédit.
Toutefois, ce modèle n’est pas l’apanage de la Chine : on se souvient notamment du Marketplace de Facebook ou encore du Shopping de Google. Mais force est de constater que le succès en Occident est loin d’être le même qu’en Asie. En cause ? La force des habitudes, l’attachement encore prégnant aux magasins physiques mais aussi et surtout la question de la protection des données personnelles. Car dans cet e-commerce social, c’est l’interdépendance et l’intercommunication qui sont les maîtres-mots avec comme point d’ancrage les données des utilisateurs.
Vers un totalitarisme gouvernemental des plateformes ?
En effet, ce qui ferait frémir les occidentaux, trop attachés au respect de leur vie privée et à la transparence de l’utilisation de leurs données personnelles, ne semble pas inquiéter les citoyens chinois. « En Chine, les gens ne sont pas tant préoccupés que cela par la protection de leurs données personnelles. Les exigences de transparence ne sont pas les mêmes qu’en Europe, même s’agissant de données sensibles comme les données de paiement. Si Apple Pay est dans l’impasse en Occident, en Chine des centaines de millions de personnes utilisent le paiement mobile en consentant complètement à livrer leurs données personnelles »selon l’experte Yvonne LI. Pourtant, l’écueil totalitaire est prégnant. En prenant la forme de mini-sociétés encadrant les échanges entre les citoyens et modélisant les comportements à grands coups de conditions d’utilisation, les plateformes d’intermédiation entendent, de façon implicite, devenir le cadre de gouvernance de référence, enterrant par la même les prérogatives régaliennes des Etats. C’est sûrement dans ce sens d’ailleurs qu’il faut lire les décisions à répétition des autorités chinoises conduisant à la censure des réseaux sociaux ou encore les diverses auditions auxquelles a dû se rendre Mark Zuckerberg ces derniers mois.
Article écrit en collaboration avec l'Atelier.