10 août 2018
Après avoir suscité bien des espoirs et autant de désillusions, l’économie collaborative vit une période de transition, dans laquelle l’entreprise et la donnée auront un grand rôle à jouer.
«Ensemble, Mère nature et le marché ‘ont dit stop’ ! Nous savons maintenant que l’économie de l’hyperconsommation est un château de cartes ».C’est par cette maxime, qui frappe comme l’éclair, qu’en 2010, les auteurs de What’s Mine is Yours (Rachel Botsman et Roo Rogers), posent les bases de ce qui va être la tendance phare de la décennie : l’économie collaborative. Mis en lumière par une nouvelle typologie d’acteurs comme Uber ou Airbnb, ce nouveau paradigme économique entend décentraliser la prestation de biens et de services à l’aide d’un outil unique : la plateforme. Une approche plus adaptée aux nouveaux modes de consommation des citoyens, qui tendent de plus en plus à préférer l’usage à la propriété. C’est notamment la raison du succès des offres de streaming d’un Netflix pour les films et séries ou d’un Blablacar pour le covoiturage. Et si l’on en croit les chiffres publiés par le cabinet d’audit PWC, ce marché est en pleine expansion. En effet, le montant total des transactions de l’économie collaborative se chiffre aujourd’hui à 28 milliards d’euros et pourrait, d’après les dernières estimations, être multiplié par 20 pour atteindre les 570 milliards d’euros d’ici 2025.Et il n’y a aucune raison de croire que ce phénomène échappe aux entreprises. Bien au contraire, elles ont un grand rôle à jouer : celui de transformer l’univers monopolistique des plateformes en écosystème ouvert d’innovation collaborative.
Une décentralisation plutôt qu’une désintermédiation
La promesse était belle … Or, on sait aujourd’hui qu’elle relève davantage du mythe que de la réalité. Car en voulant décentraliser la valeur des échanges entre particuliers, ces nouveaux « géants de la Tech » ont progressivement installé de nouveaux monopoles … d’intermédiation. Et cela, en « disruptant les intermédiaires par une stratégie commerciale agressive et une politique de casse réglementaire. ».Or, pour Xavier Lavayssière, chercheur expert en régulation de la blockchain à l’université Paris Panthéon Assas, « ce n’est qu’une acceptation très particulière de ce qu’est réellement l’économie collaborative. Par ailleurs, des acteurs comme Uber restent fortement centralisés puisqu’ils cherchent à capter seuls un marché donné ».Et ces nouveaux modes de gouvernance, à mille lieux des promesses initiales, ont finalement contribué à appauvrir le caractère social de l’économie collaborative, en témoigne la précarité de ces « faux-indépendants » qui roulent pour Uber ou Deliveroo. C’est pourquoi il est venu le temps d’écrire l’acte 2 de l’économie collaborative, en revalorisant son caractère éminemment participatif et ouvert. Parce que la raison d’être d’une plateforme, et d’autant plus d’une plateforme collaborative, n’est pas uniquement de mettre en relation mais aussi de mettre en action. Et pour cela, il convient de donner toute la place que le “consomm’acteur”mérite. “Consomm’acteur”, parce que, plus que jamais, le citoyen est engagé dans ses modes de consommation, qu’il souhaite plus durables, plus responsables. Et cette tendance doit influer sur les stratégies de plateformes des entreprises. A elles donc d’inventer de nouveaux modes de gouvernance vis à vis des prestataires et de nouveaux modes de valorisation des clients.
Un nouvel âge, celui du partage de la donnée
C’est sûrement cela l’âge de raison de l’économie collaborative. Aussi, pour Xavier Lavayssière, « on commence à imaginer de nouveaux modèles économiques où il n’y a pas une entreprise au centre de l’écosystème qui possède la donnée en sillo, ce que fait notamment Airbnb, mais plusieurs acteurs qui partagent leurs données dans une logique de co-construction ».La plateforme, dans ce cadre, intervient comme un carrefour, un point de rencontre entre différents acteurs qui, loin d’être mis en concurrence, collaborent en open innovation. Et c’est dans cette synergie que résiderait le véritable partage et l’équilibre des « business models ».
Cette logique de co-construction et de partage de données s’illustre par l’association opérée en novembre 2017 entre Warranty Direct (marque de BNP Paribas Cardif, spécialiste de la garantie mécanique pour les particuliers au Royaume-Unis) et EngieApp (application mobile développée par Yuri Levine, fondateur de Waze).Grâce au dispositif bluetooth EngieApp installé dans leurs voitures (connectées à la prise OBD utilisée par les garagistes), les propriétaires ont accès, via une application mobile, à des données statistiques et des diagnostics en temps réel de l’état mécanique de leur véhicule. Ils peuvent ainsi détecter des pannes avant qu’elles ne deviennent critiques. Cette application a pour objectif de réduire les coûts d’entretien pour les assurés tout en leur apportant une meilleure connaissance de leur véhicule.Une des utilisations prisées par les clients de Warranty Direct est la vérification de l’état mécanique de véhicules d’occasion avant leur achat.Pour Warranty Direct, les bénéfices tirés des données récoltées sont de plusieurs ordres.
Premièrement, elles permettent l’introduction de nouveaux services différenciants et à forte valeur-ajoutée, tels que la maintenance prédictive.
Deuxièmement, les pannes évitées permettent une baisse du nombre des sinistres et donc du coût du risque.
Enfin, les données collectées, amélioreront la connaissance des véhicules et des habitudes de consommation.
Mais encore faut-il concevoir et animer les plateformes de demain en ce sens. C’est pourquoi, pour faciliter et sécuriser ce partage horizontal des données, certains entrepreneurs commencent à se pencher vers la technologie blockchain. Pourquoi ? Parce qu’elle permet à la fois de sécuriser les données partagées (as a service) et de permettre leur partage de manière totalement décentralisée et distribuée (as a plateform). En résulte alors une refonte totale de l’écosystème et de nouvelles sphères d’innovation par le biais de la co-construction. Ainsi, ces nouveaux types de collaboration, qui tendent à se généraliser, pourraient redonner du sens à l’économie collaborative en ancrant durablement l’open innovation dans les mœurs. Car « c’est dans ce dialogue et ce partage d’information entre acteurs que pourrait résider le vrai levier du changement. La blockchain, dans ce cadre, ne peut être que le moyen, jamais la fin »conclut Xavier Lavayssière. Mais si dans ce schéma de partage et de participation tout le monde semble gagnant, il convient encore de régler les questions de gouvernance et de régulation. Un pour tous, tous pour un.
Article écrit en collaboration avec l'Atelier.